samedi 14 mai 2011

Chagall, libre "ange-peintre"

Chagall et la Bible : admirable exposition au musée d’art et d’histoire du judaïsme (Mahj, Paris 4e) à voir jusqu’au 5 juin.

Un ange vêtu de rouge sort en volant furtivement d’une église, une palette à la main. L’église pourrait tout aussi bien être une synagogue et l’ange-peintre, c’est Marc Chagall se représentant lui-même. Le mot « ange » vient du terme grec « aggelos » qui signifie messager : dans la tradition biblique, l’ange est un être purement spirituel que Dieu crée pour qu’il soit un intermédiaire entre lui et les hommes : ce sont des anges qui annoncent à Abraham la venue de son fils, c’est un ange qui empêche le patriarche de tuer Isaac, et, dans le songe de Jacob, des anges montent et descendent l’échelle reliant le sol au ciel où, de là-haut, l’Eternel donne au rêveur la terre sur lequel il est couché…

Un peintre inspiré

L’imprégnation biblique est forte chez Chagall (1887-1985), aîné de neuf enfants élevé dans une famille juive très pratiquante. Dès l’origine, la culture hébraïque et yiddish du garçon est teintée d’œcuménisme car son père religieux l’emmène de temps à autre chez un peintre d’icônes orthodoxes. Aussi, lorsqu’en 1930, le galeriste Ambroise Vollard commande à Chagall une centaine d’eaux-fortes pour illustrer la Bible, ce dernier accepte : le Livre le nourrit depuis l’enfance, il imprègne sa surface rétinienne de légendes et de couleurs qui seront sources d'inspiration pour son illustration, son interprétation préfère-t-il à dire, des textes en tableaux vivants. En peintre moderne qui vole au-dessus des courants de son époque non sans les observer, Chagall ne s’encombre pas de précisions dans le dessin et son œuvre, très symbolique, s’éloigne totalement d’un art abstrait pour présenter des scènes sensibles, touchantes : le grand patriarche Abraham est représenté pleurant sa femme Sarah ; dans la scène où David rencontre Bethsabée, le regard espiègle et attendri de l’artiste s’incarne en un palmier qui se penche pour assister à la naissance de l’amour. En effet, Chagall n’illustre pas, il narre et son récit dura plus d'un quart de siècle puisque, du fait de la mort d’Ambroise Vollard, de l’exil et de la guerre, sa Bible ne fut publié qu’en 1956.


Dieu crée l’homme
1931
Gouache sur papier
Nice, Musée national Marc Chagall
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall ®


Propos universels

Entre le récit de la commande d'Ambroise Vollard et la présentation de la couverture de la Bible de Marc Chagall, l’exposition du Mahj présente aussi ce qui a nourrit, complété et approfondi l'exégèse de l'artiste. Suite à un voyage effectué en 1931 en Palestine en vue de la présidence d'un comité artistique qui préparerait la construction d’un musée d’art judaïque, les peintures de l’artiste natif de Biélorussie alors imprégnées de la vie du shtetl (petite ville ou quartier juif d’Europe de l’est avant la seconde guerre mondiale) accueillent désormais chameaux et airs orientaux. Le nazisme et la guerre inspirent à Chagall de grandes toiles représentant l’Exode juif (L’Exode) où le christ crucifié, symbole du martyr juif, rappelle aux chrétiens le caractère universel du message divin. A partir des années 60, l’artiste, Ange à la palette et Ange-peintre, travaille aux vitraux de la synagogue de l’hôpital Hadassah à Jérusalem, à ceux de l’église réformée Fraumünster de Zurich ou de l’église catholique Saint-Etienne de Mayence, reliant alors par son message universel les hommes et les religions. François Bloespflug, co-commissaire de l'exposition, dépeint Chagall en artiste libre ayant « foi dans le fait que la liberté parle au cœur de ceux qui l’aiment » : voilà pourquoi mariés, animaux ou violonistes peuvent se défier de l’apesanteur comme le peintre du deuxième commandement du décalogue. « Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. » Une instruction de Dieu aux hommes qui aurait pu limiter chez un artiste juif la représentation débridée de toutes ces théophanies. Chagall, lui, en homme libre, s'élève au-delà des principes et des lois écrites, au-delà des traditions russes et hébraïques qui l’imprègnent et font toute la beauté et la joie de son œuvre, pour peindre un message universel.

François Bloespflug note en effet qu’une des scènes à laquelle le peintre s’est beaucoup attachée est celle d’Abraham accueillant à sa table les trois anges : la scène n’est pas si mystique, les anges sont assis à la table comme des humains, leurs ailes, magnifiques, repliées… Nulle transcendance monumentale donc, si ce n’est dans le message d’accueil, d’hospitalité qui imprègne le tableau… Ouvrons les bras et les yeux, laissons-nous surprendre, semble susurrer Chagall. «[C’est] l’air libre de France qui m’étonnait, […] « palette vivante », [qui] te donnait la possibilité de te souvenir de toi-même, de ne pas t’oublier [...] aiguise ta conscience de toi-même », dit-il en se souvenant de son premier voyage à Paris en 1910. Se souvenir donc, se replonger dans les textes pour avoir le regard libre et la conscience aiguisée, voici le message de l’ange Chagall, que le Mahj, autre génial intercesseur, retransmet.


Abraham et les trois Anges
1940-1950
Huile sur toile
Collection particulière
© ADAGP, Paris 2011 – Chagall
®

Chagall et la Bible : jusqu’au 5 juin. Au musée d'art et d'histoire du judaïsme Hôtel de Saint-Aignan, 71 rue du temple, Paris 4e, RER Châtelet, Métro Rambuteau / Hotel de ville, du dim au vend. de 10h à 18h, nocturne le mercredi jusqu’à 21h, Tarif : 7 euros / TR : 4,5 euros. www.mahj.org

A voir au musée de Grenoble jusqu’au 13 juin : Chagall et l’avant-garde russe

A écouter : emission de France culture "les mardis de l'exposition", du 26 avril 2011.

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